angel medina - guilty as sin ?

"who's afraid of little old me ?"
((atmosphère sonore))
Laredo, Texas. 1987
Foutue Eve et son appétit. Tu enfanteras dans la douleur a maudit Dieu dans sa vengeance et Maria est son énième victime. Il faut le pousser, il faut le mettre au monde cet immonde petit monstre. Dix orteils et dix petits doigts, aux poumons développés à en croire les décibels qui sortent de sa bouche. Elle a mal, sa maman. Elle souffre mais son petit ange crève davantage. Le manque. Déjà. A peine né qu’il est accroc à ce que sa génitrice s’envoyait pendant sa grossesse.

Laredo, Texas. 1994
« Mets ça dans ton sac à dos. » Pedro Medina beugle plus qu’il ne parle. Les histoires, Angel doit les inventer lui-même sur le chemin de l’école. Un itinéraire long et plein de détours, où ce gamin doit sonner à des portes louches et livrer des paquets entourés de rubans adhésifs à des types qui ressemblent à son père. Personne irait fouiller le sac d’un môme. Puis Pedro n’est pas un si gros enfoiré, puisqu’il file toujours cinq dollars à son rejeton qui dépense son pactole en bonbons.

Laredo, Texas. 1997
« Mais pourquoi ? » Trois syllabes que les gamins ont toujours à la bouche. Pourquoi le ciel est bleu ? L’herbe verte ? Pourquoi il y a autant de passage à la maison et pourquoi maman se fait baiser par n’importe qui ? Pourquoi est-ce qu’elle ne pleure pas, ce soir, après que papa lui ait filé sa correction ? Pourquoi elle ne bouge plus, non plus ?

Angel apprend vite à fermer sa grande gueule. Les bagues de Pedro s’impriment facilement sur sa joue, comme les traces de sa ceinture s’inscrivent en arabesque dans son dos. Ferme la et tout ira bien. Il ne faut pas poser de questions, ne jamais demander ce qu’il y a dans les sacs à dos ou pourquoi il faut partir au milieu de la nuit, en abandonnant maman.

Clifton, Texas. 1999
Le navire à la dérive, les Medina prennent l’eau depuis plusieurs semaines. Plus de fric, plus rien à transporter, obligés de dormir dans une épave roulante. Clifton n’est pas un premier choix, c’est l’endroit où ils échouent, à défaut de trouver une autre terre d’accueil.

Clifton, Texas. 2001
Ses poumons sont les mêmes que celui d’un soixantenaire avec tous les paquets de clopes qu’il s’envoie à la sortie du collège. Les cours sont durs à suivre. Difficile d’avoir une scolarité convenable avec les absences à répétition. Gueule de bois ou gueule en sang, Angel n’accorde que peu d’importance aux mathématiques et à l’orthographe.

Au moins, il n’a plus à crécher sur la banquette arrière d’une caisse en fin de vie. Son paternel est un parasite des plus doués, déjà accroché à sa nouvelle victime qu’il est prêt à sucer jusqu’à ce que mort s’en suive. Le business reprend, la drogue échoue sur la table basse d’un petit appartement miteux que les deux Medina partagent. Et s’ils sont effrayants, les Pobre Diablo, Angel ne peut que les remercier de payer assez pour qu’il ait de quoi bouffer chaque soir.

Clifton, Texas. 2004
Dix-sept ans et il ne va plus au lycée. Prospect est un bien grand mot pour un gamin qui fait le coursier sur sa moto, en véritable larbin. « Tu dois faire tes armes. » raconte son paternel et peut-être que si Angel est assez doué, il pourra un jour être l’un des leurs. Il faut dire que ça a de quoi le faire rêver, le gamin, d’appartenir à une vraie famille. De celles où chacun se serre les coudes et où les erreurs ne sont pas soldées par une pluie de coups. Il se fait un peu de fric, au moins. Juste assez pour se payer ses paquets de clope et son herbe.

La cocaïne ? Il la trouve dans les affaires de son père, planquée dans le canapé. Si Pedro l’a volée, alors il n’osera pas fracasser son fils pour en sniffer un peu, non ?

Clifton, Texas. 2006
Angel n’a pas les idées claires et sa mémoire défaille. La coke est une belle saloperie, mais il a trop souvent le nez dedans pour le remarquer. Faut qu’tu t’réveilles. C’est pas son paternel qui le secoue, mais les membres du club. Ceux qui refusent qu’un drogué traîne son cul jusqu’au garage, ceux qui l’estiment même plus en droit de grimper sur sa moto pour parader.

Sa nouvelle famille va le jeter, bientôt. Il le sait, il le sent, et pourtant l’appel de la poudre est plus fort que sa raison. Il se jure, à chaque fois, que ce sera la dernière. Qu’après, il recommencera plus.

Clifton, Texas. 2007
Pedro Medina se fout de leurs gueules. La rumeur circule et s’embrase, une véritable traînée de poudre. Paraît qu’il a parlé aux flics. Paraît qu’il pique de la drogue pour la revendre à son compte. Paraît qu’il fait les deux. Les balances et les voleurs ne sont pas les bienvenus et un dicton veut que les chiens ne fassent pas des chats.

Rare moment de lucidité dans le crâne d’Angel, lorsqu’on le lui éclate sur le trottoir. Il n’est pas comme son père. Il ne le sera jamais, et sûrement est-ce sa seule qualité. Mais la parole d’un Medina ne vaut pas grand-chose, désormais. Les mots ont moins de poids que les actes.

Clifton, Texas. 2008
Les flics ont jamais réussi à prouver qu’Angel Medina avait plombé son père. Vingt-et-un ans, tout juste l’âge de s’acheter de la bière légalement, quand la flicaille lui passe les menottes. Trafic de stupéfiants et détention d’armes à feu. Il ne balancera pas d’où vient la coke trouvée dans son appartement, ni même qui a pu fournir un flingue sans numéro de série à un gosse. La justice est expéditive avec les âmes perdues dans son genre et le Texas n’est pas connu pour sa clémence.
Angel est condamné à 12 ans de prison. Il aura pris le triple si la police avait pu prouver que la cocaïne cachait un trafic plus juteux qu’une pauvre centaine de grammes.

Le mois suivant, enfermé dans sa cellule, il reçoit un premier versement. Quelques dizaines de dollars, juste de quoi se payer ses clopes en taule. La preuve que ses frères le croient, désormais, et qu’ils ne l’ont pas rejeté.

Clifton, Texas. 2015
Bonne conduite et remise de peine. Il faut dire qu’Angel a un beau sourire et son assiduité dans la chapelle a joué en sa faveur. Il a même été foutu d’obtenir son diplôme et de décrocher de la coke, enfermé entre quatre murs. « Reprends ta vie en mains, fiston. » lui a conseillé l’abruti en charge de statuer sur sa libération. Il y compte bien.

Il sera plus facile de grimper les échelons des Pobre Diablo avec les idées claires et les narines loin de la poudre.

Clifton, Texas. 2024
Les voitures et les motos n’ont plus aucun secret pour lui. Il démonte les moteurs avec la même dextérité qu’il démonte les 9mm qu’il fait disparaître après s’en être servi. Il a prouvé par le passé qu’il était capable de se salir les mains, de se retourner contre son propre sang. Sa loyauté est sans limite et cela fait de lui un homme de confiance. Assez pour qu’on ait pris l’habitude de lui refourguer les tâches les plus crades, celles qui finissent souvent avec des trous creusés quelque part dans le désert.