Sierra Moore - And when we go crashing down, we come back every time

"wildest dream"
((atmosphère sonore))
Le skate, c’est une manière de m’évader. Je fini plus souvent les genoux en sang qu’autre chose, des écorchures qui marquent la peau ici et là, une bosse un peu trop bleue sur le front. Casse-cou, je saute sur ma planche et je reviens la bande. Gamine de 7 ans, je sais bien que le quartier où je suis n’est pas fameux, mais j’y grandis. Je réponds aux cons par un doigt d’honneur bien salé, un sourire sur ma face d’ange. Alors, sur ma planche, je me sens invisible en prenant la direction de la maison de l’un ou de l’autre de la bande. Je me fou bien de l’avis des autres, de ceux qui voit tous les jours une gamine parcourir les rues du quartier sur son skate en attendant que ses potes la rejoignent. Je suis souvent la première à attendre, mais je m’en fou. J’suis pas super forte dans les devoirs qu’on doit rendre à notre instituteur, alors je les fais à moitié. Ma mère ne dit rien, ne peut pas me forcer, parce que je saute par la fenêtre de ma chambre, située au rez-de-chaussée, et file en silence. On s’en fou qu’il fasse jour ou nuit. Mais c’est plus facile lorsque les étoiles éclairent le ciel obscur, car, dans ces moments-là, ma mère est souvent avec son mec du moment. C’est plus sympa quand elle n’en a pas, car elle a assez de temps pour moi, on se couche dans l’herbe et on regarde les étoiles ensemble. Ou alors il y a soirée les télés, où elle n’a plus la force de sortir et on regarde des programmes interdit pour mon âge. Le sang, les tueries, le sexe, je sais que trop tôt à quoi ça ressemble. Je n’en suis pas vraiment étonnée, je vis dans une ville dont le quotidien en est fait.

J’ai 14 ans, j’ai compris que ma mère était malade. Elle a des phases hautes et des phases basses. Dans les hautes, son mec de quelques mois rentre chez nous, vit avec nous, fait comme s’il allait être le père de l’année, puis se casse quand c’est trop compliqué. Les rares gars bien qu’elle ait croisé se barrent au bout de deux mois, les autres restent presque un an. Terminé de croire qu’une force supérieure nous gère au-dessus du ciel, je pense que seul els Enfers nous attendent une fois dans la tombe. Adolescente en pleine crise, j’évite ma mère et Clark, le gars du moment, bien plus jeune qu’elle, une gueule d’ange pour cacher l’ordure qu’il est en réalité. Alors je me barre souvent de chez moi, je vais dormir ailleurs plutôt que de les entendre baiser à toutes heures de la journée. Je vais dormir chez mes amis, et quels amis ! Toujours là, toujours présents, les seuls que je souhaite dans cette vie. Les autres ? Je les considère tous de passage. Puis, il y a Clyde. On se comprend facilement, on vit les mêmes conneries par moment. Il m’entraine dans des conneries plus grandes que tout et je m’en fou. Jusqu’au bout du monde je lui tiendrai la main. J’comprends trop tard que, ce que je ressens, c’est plus que de l’amitié. Mais je me connais, ça va me passer. Alors je savoure les nuits où je peux dormir avec lui, en sécurité.

Clark s’est installé deux ans chez nous. Enfoiré qui ne fait que boire, il profite de la phase down de ma mère pour crécher plus longtemps. Trop faible, elle ne dit rien, reste au lit, il la baise et la fait boire, elle ne prend pas ses médocs. Trop amorphe pour réagir, elle ne réagit pas quand il commence à s’intéresser aux formes que développent mon corps. Je refuse, je m’écarte, j’évite les contacts, jusqu’au moment où il perd patience, qu’il m’arrache la blouse que je porte en me laissant en soutien-gorge dans le salon et me balance sa ceinture en cuir dans le dos. Plusieurs fois. 16 ans, le corps marqué à vie de cicatrices. C’est la voisine qui a appelé les flics, alertée par mes cris. Ce qu’il est devenu de lui ? Je pense qu’un gang doit être dans l’histoire, en tout cas je ne l’ai plus jamais revu en ville.

20 ans, l’école terminée, l’université oubliée. Je cherche du boulot et c’est finalement mon job d’été qui devient mon job fixe. Serveuse dans un bar, je m’estime chanceuse de cette vie. Je paie les factures comme je peux et on a parfois le luxe d’acheter les médocs de ma mère qui gère un peu mieux sa maladie. Ou pas. Elle continue les gars, mais depuis j’ai appris à me défendre et à mordre quand ces enfoirés s’approchent de moi. Clyde et les autres sont toujours là, ma constante dans cette ville. Clyde … Je le regarde de trop quand il ne me voit pas. Je frissonne lorsque ses bras m’entourent. Je me sens en sécurité lorsque je sens son odeur. Il est ma maison, mon meilleur ami et je meurs d’amour pour lui. Mais la crainte de le perdre me tenaille, alors je tente d’oublier mes sentiments dans des relations d’un soir. Ne couchant qu’avec des gars avec qui j’ai discuté, appris un minimum à connaitre. Les cicatrices des coups de ceinture me rappelant les expériences amoureuses néfastes de ma mère, m’inquiétant de revivre un cas similaire.

Le loyer, les factures, le reste … On les paie à deux. Ma mère reprend un boulot à temps partiel, un suivi avec un médecin qu’on tente de garder en mettant de l’argent là-dedans. On s’organise, on est toutes les deux à présent. Et je ferais n’importe quoi pour cette femme qui a réussi à me garder malgré l’absence de mon père, inconnu à mes yeux mais que je ne souhaite pas connaitre. Il est en ville, je le sais, car ma mère a lâché l’info un jour. Mais c’est tout. Tout ce qui importe, c’est elle, mes amis … et Clyde. Ce dernier que je retrouve parfois dans la cuisine en train de boire un café avec ma mère, que je retrouve sous la voiture pour tenter de récupérer les conneries que j’ai pu faire en essayant de raccommoder moi-même : spoiler alerte, je ne suis pas mécanicienne. Ils sont mes constantes, malgré tout, parfois, quand la pression est trop forte, je m’isole pour pleurer un bon coup et revenir avec le sourire vers eux.