atmosphère sonoreLe poing s'écrase, l'os craque. Un bruit à retourner les tripes de Clyde. L'estomac au bord des lèvres, il dévale les escaliers. A travers l'encadrement du salon, l'ombre apparait immense, dangereuse. L'homme a le dos courbé, le poing encore serré, le souffle erratique. Alors, un gémissement déchire le silence de la nuit, arrachant la contemplation teintée de peur de Clyde pour une scène qui signera chacune de ses nuits pendant des années. La souffrance à l'état brut vient percuter l'enfant de plein fouet. Sa mère effondrée, visage ensanglanté, gémit à perdre la voix.
(...)
Les minutes s'égrainent dans une lenteur assommante. Alors que son regard se perd sur les motos parfaitement alignées devant le perron, le gamin entend son oncle proférer des menaces. Sa mâchoire se crispe à s'en décrocher les chicots. Poings serrés, corps tremblant, la rage qui l'habite a une saveur particulière, un gout de sang.
On va avoir besoin que tu nous aides p'tit. Si tu veux que ton père paye pour ce qu'il a fait, il faut nous dire où il aurait pu fuir. Animal blessé, il se laisse envahir par la haine, pour mieux étouffer sa peur. Peur qui le condamne au silence depuis trop de temps.
Il est chez Bernie, souffle-t-il. Hochement de tête et main serrant brièvement son épaule seront le seul réconfort qu'il trouvera ce soir.
Plus tard, il se blottira dans un lit d'hôpital à l'odeur iodée contre le corps meurtri de sa mère, priant pour la mort de son géniteur.
J'vous dis que l'idée est bonne ! Excellente même ! Les regards sont septiques, mais aux sourires qu'il arrive à leur décrocher, il sait l'affaire gagnée. Dans son sac, un arsenal prêt à faire exploser le ciel à des kilomètres à la ronde. Leur situation est critique, le shérif les a à l'œil depuis leur dernière frasque, une sombre histoire de tequila, de chien sauvé et de culottes volées. Mais Clyde il trépigne, il a la bougeotte. L'impression de prendre la poussière, s'il ne flirte pas avec l'interdit.
(...)
C'est beau, putain. Une inspiration, un nuage de fumée et une main qui se tend lui proposant une bouffée de l'herbe sacrée. Il attrape et tire avant de le passer à son tour.
C'est complètement dingue. Il sent l'épaule tout contre lui gigoter, un rire léger fend l'air. Tout semble paisible, alors qu'explosion après explosion, une palette de couleurs éclaboussent le ciel, jusqu'à faire de l'ombre aux étoiles.
T'es un putain d'artiste, Clyde. Un putain de taré, mais un putain d'artiste ! Ca lui décroche un sourire. Il se croit invincible au milieu de ces quatre là, perchés sur une vallée, à admirer le carnage se dérouler sous leur yeux. C'est qu'un gosse encore, un gosse qui a besoin de voir le ciel briller pour eux et un peu pour lui aussi.
Il va falloir qu'on bouge. Son ami s'est redressé, pointant au loin les gyrophares qui se rapprochent dans la nuit, soulevant derrière eux une tornade de poussière.
Encore quelques secondes. Des semaines à se prendre pour un artificier, à réunir le matériel nécessaire, impensable pour lui de rater le clou du spectacle.
Clyde on doit y aller. La bande a déjà rassemblé leurs affaires, prête à courir se réfugier dans le vieux pick-up.
Il va leur falloir quelques minutes pour comprendre qu'on est là. Dépêche, on y va. On le tire par le bras, contraint il se lève et se dirige vers la voiture qui, phares éteints, est prête à prendre le large.
Lancés à toute vitesse, le désert texan en toile de fond, ils entendent derrière eux les explosions redoubler. Penché à travers la fenêtre du pick-up, les feux d'artifice se reflétant dans ses iris, Clyde exulte, crie à s'en déchirer les cordes vocales, très vite rejoint par ses frères et sœurs de sang. Au loin, les sirènes et les gyrophares se laissent absorber par la nuit.
T'as les flics au cul depuis que t'as 13 ans. Tu veux quoi de plus Clyde ? Finir en taule ? Il soupire et le gamin l'observe, impressionné de le voir débiter autant de mots. L'oncle ne parle pas autant d'habitude.
Pense à ta mère, bordel. La seule chose qu'il voit quand il pense à elle, c'est les cadavres de bouteilles joncher le sol du salon, les cendriers remplis de mégots renâclant l'odeur de tabac froid dans toute la baraque, le flot régulier de pouilleux qui s'échappent de sa chambre passé midi. Clairement, sa mère ne sera jamais un bon argument. Coudes posés sur les genoux, il s'avance légèrement vers celui qui joue le rôle de la figure parentale depuis qu'il a une dizaine d'années. Il comprend sa position, mais il ne changera pas d'un millimètre la sienne pour autant.
C'est décidé, je veux porter les couleurs. Le soupire de l'oncle se mue en un rugissement guttural qui a le don de foutre les pétoches. Mais Clyde tient bon, le regard ne flanche pas.
J'verrai ce que j'peux faire, finit il par lâcher. Soulagé et histoire de cacher son rictus victorieux, le gamin de Clifton baisse un instant la tête avant de serrer la main de son oncle.
Je te decevrais pas.