all i wanted was you -- emily

till forever falls appart.

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« Emily ! Tu tombes à pic, je fais le tri dans de vieilles affaires. Tu devrais faire de même dans ta chambre ! » Un baiser déposé sur la joue de sa fille et la matriarche Nolan s’envole vers le salon où un bon nombre de cartons se battent en duel. Avec un sourire attendri, la jeune femme grimpe les escaliers avant de rester plantée sur le pas de la porte de sa chambre d’enfant. Elle était partie s’installer sur le campus quelques mois auparavant, désertant présence familiale et cette pièce qui l’avait vue grandir. Rien n’avait changé, comme figé dans le temps. Son sac à main tombe au sol et l’étudiante s'exécute en ce début de week-end de Thanksgiving. Elle extirpe nombreuses peluches et jouets de leurs cachettes, se remémorant dans les jours entiers passés à s’imaginer un autre royaume que celui-ci. Elle trie les vêtements troués, déchirés, mais délaissés au fond de son placard. Peut-être dans l’espoir qu’une fée du logis s’en empare. Perdue dans ses pensées, White Flag de Dido en fond sonore à la radio, elle ne prête guère attention à sa prochaine cible. Son bureau. Premier tiroir s’ouvre avec aisance, papier tombe au sol et râture prend place dans son champ de vision.


Poignard cuisant s’immisce dans sa cage thoracique tandis que les mots affluent, violents. Tout comme les souvenirs qui s’y attachent. Note qu’elle froisse avant de l’envoyer valser au sol. Pourtant, consciente que d’autres suivraient, lui infligeant un plongeon dans les eaux sombres de ces années d’oubli d’elle-même. Au fil de ses années scolaires, elle avait prié pour être invisible. Parce que les voix moqueuses de ses jeunes camarades raisonnaient en elle, celle qui lui disait qu’elle ressemblait à un petit cochon ou qu’elle était trop lente pour jouer avec le reste de la meute. Parce que son esprit s’était allié contre elle. Elle s’était convaincue de sa laideur, de ces bourrelets disgracieux et de ces vêtements qui ne lui allait pas. Et après tant de blessures, l’ignorance d’autrui était la solution parfaite pour éviter une souffrance qui l’empêcherait d’avancer. Alors, elle s’était cachée dans son silence jusqu’à ce que même certains de ses amis ne la mettent de côté. Et lorsqu’elle se permettait un sourire en direction d’un garçon qui lui plaisait, il tournait ses prunelles vers une de ses amies. Elle était celle qui passait les mots qui ne lui étaient pas destinés. Elle était celle qui faisait l’intermédiaire. Elle n’était pas celle que l’on choisissait. Alors, l’invisibilité avait grignoté la lumière qui luisait au creux de son cœur. Cette lueur qui brillait, uniquement, pour ses proches. Cela lui semblait être à des années lumières de la personne qu’elle était, à présent. Ses doigts tremblent sous le coup de l’émotion. Cette fois, ses pensées lui soufflent tout le travail qu’elle accomplit depuis des mois à l’université. Cette nouvelle image d’elle qui se forme telle une bulle lisse et brillante. Ces personnes qui lui avaient donné un nouveau souffle. Elle méritait d’être flamboyante, exubérante, rieuse et studieuse. Il était temps de balayer ces arrières pensées. Et c’est ce qu’elle fit, un sac poubelle à la main, enterrant chaque parcelle douloureuse de ce passé qui l’avait pourtant forgée.


La dernière année avait été bénéfique pour la jeune femme. Se révélant au monde, elle avait éclos et se délectait, à présent, de ce que le monde pouvait lui offrir. Prenant conscience qu’elle ne pourrait effacer les regards, les paroles ou les détracteurs visant la vie qu’elle avait toujours menée, tout comme son poids, elle s’était plongée peu à peu dans une bulle plus lumineuse. Elle s’était débarrassée de ceux qui avaient pu l’entraver jusqu’à présent, mais aussi de ceux qui ne l'avaient jamais traité à sa juste valeur. Elle redécouvrait sa valeur, ses capacités comme si elle se réveillait après un lourd sommeil, elle se glissait dans sa nouvelle peau. Et ce soir ne faisait pas exception. Dans les rues de San Jose, ils riaient aux éclats, éméchés et ravis de leurs pitreries. Jusqu’à ce qu’on ne lui lance un pari et qu’elle y réponde. « EMILY ! ATTENTION ! » Trop tard. La funambule s’étale de tout son long. Elle aurait probablement continué à pleurer de rire face à sa maladresse si une douleur fulgurante ne s’était pas réveillée dans son genou. Malgré l’alcool coulant dans ses veines, elle ne peut passer outre. Après un trajet éclair aux urgences, le verdict est sans appel : fracture de la rotule. Boudeuse lors des trente jours d’immobilisation, elle ne tarde pas à retrouver le sourire lorsque la rééducation débute. Cette dernière n’avait rien d’agréable, cependant. Ses articulations sont raides, la douleur toujours vive sur certains mouvements et ses déplacements sont limités. Pourtant, elle ne tarde pas à se lier amicalement avec le personnel médical tout comme certains patients, babillant avec entrain lors de chaque interaction, faisant passer le temps un peu plus rapidement. Même si elle ne pouvait s’empêcher de lancer des œillades plus ou moins discrètes en direction d’un patient en particulier. Jackson. Intimidée par son énergie silencieuse, elle n’avait pu retenir le battement désordonné de son cœur, la première fois qu’il était entré dans son sillage.  Elle avait tenté, un jour, de l’encourager tandis qu’il s’était glissé non loin pour faire un de ses exercices. « Tu peux y arriver, garde confiance. », avait-elle soufflé avec un sourire encourageant après qu’il se soit mis à grogner de frustration. L’oeil noir qu’il lui adressa voulait tout dire. Alors, elle avait gardé ses mots pour elle et pour ceux qui souhaitaient échanger avec elle. Il était devenu cet homme qu’elle regardait de loin, laissant parfois son imagination voguer, sans jamais l’approcher.

« Si tu parles beaucoup alors... tu le ferais autour d'un verre ? Promis, je ferai un sourire. » Voix masculine qui s’élève dans son dos, comme si elle l’avait rêvée. Alors qu’elle se retourne, elle n’a pas besoin de voir le visage de son interlocuteur pour savoir de qui il s’agit. La surprise fige ses traits tandis qu’elle le dévisage avec circonspection. Il s’agissait là de son dernier jour de rééducation, elle avait fait ses exercices puis ses au revoir avant de tourner les talons, le cœur un peu lourd, comme si elle faisait ses adieux à une partie d’elle. Peut-être que cette fraction d’elle, elle se tenait juste devant elle, à présent. « Ça dépend, si je suis la seule à parler ou si tu répondras à mes questions. », lui répond-t-elle en l’observant avec malice. Le sourire qu’il lui promettait se peint lentement sur les traits du Graves, comme une réponse implicite qui agita son palpitant. Cette réplique restera gravée dans l’esprit de la jeune femme. Tout simplement parce qu’elle signait le début de leur histoire.

L’amour l’avait surprise. Lors de ses années scolaires, ses yeux avaient papillonnés vers certains de ses camarades de classe tout en se disant qu’une relation amoureuse n’était pas dans les cartes pour elle. Peut-être pas maintenant, avait-elle tenté de se rassurer. Au fil des ans, elle avait repoussé la pointe de déception en étant témoin des couples se formant autour d’elle, tout en se sentant mise de côté. Puis, sans crier gare, tout lui était tombé dessus. Un jour, elle se contentait d’aller à sa rééducation. Un autre, il lui proposait un verre. Ensuite, il devenait la personne la plus importante de son univers. Comme s’il avait toujours fait partie de son existence, embrassant chacune de ses failles et lui prouvant qu’elle pouvait être aimée autant qu’elle l’aimait. Emily, voulez-vous prendre pour époux Jackson pour l'aimer fidèlement dans le bonheur ou dans les épreuves, tout au long de votre vie ?  « Oui, je le veux. » Une année plus tard, quatre mots prononcés par la jeune femme, tentant de tarir les perles de joie roulant sur ses pommettes porcelaines, persuadée d’entrer dans la plus heureuse des épopées.

Elle ne s’était pas trompée. Savourant les étreintes de son époux, des étoiles au creux de ses prunelles et le cœur sur un nuage. Pourtant, nébulosité qui avait fini par s’assombrir tandis qu’elle rêvait de maternité. Chimère qui mâchera le myocarde de l’épouse, s’imaginant mille et une culpabilité, ne pouvant offrir paternité à cet homme formidable qui partageait sa vie. Pourtant, son conjoint ne se soucie que de ce qui la ronge, sans faire peser de poids sur ses épaules. Il l’enveloppe dans cette bulle de protection, infiniment douce et chaleureuse. « Surprise. », souffle rauque tintant au creux des tympans de la jeune femme. Cri de surprise qui s’élève dans la bâtisse tandis que ses yeux se posent sur un jeune bouvier bernois, assis aux pieds de son mari. « Mon dieu, honey. », s’exclame-t-elle avant de se précipiter vers l’animal patientant sagement aux côtés du policier. Les larmes lui montent aux yeux tandis que le geste se fait bien plus limpide. Elle se redresse pour ensuite se mettre sur la pointe des pieds, crochetant le cou de celui qui faisait battre son cœur tel un tambour et s’emparant de ses lèvres. « Je t’aime. », chuchota-t-elle, au creux de ses bras, là où se trouvait sa place. Cupcake les aiderait à fonder cette famille.

Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Les mots n’étaient plus suffisants. Pire, ils se faisaient de plus en plus rares. Et si elle s’était contentée de ce qu'il avait bien voulu lui offrir, à présent, elle se retrouvait au bord d’une falaise à la profondeur abyssale. Précipice qui l’attirait vers le fond, la noirceur et le désespoir. Elle ne faisait pas le poids contre ses démons. Elle n’avait jamais fait le poids et pourtant, elle s’était laissée aveuglée par la foi qu’elle avait en eux. Pourtant, malgré les batailles qu’elle tentait de mener au nom de cet amour qui les avait unis pendant tant d’années, elle commençait à boire la tasse. Jusqu’à la réalisation. Quelques mots lancés après un repas, au-dessus de leurs assiettes sales. Après l’avoir gardée dans le noir concernant son métier, devenant mutique à chaque mention de thérapie et ignorant les frayeurs qu’elle avait essuyé durant toutes ces années. Après toutes les épreuves qu’ils avaient subis, il lui avait annoncé son refus concernant le poste d’inspecteur. Ce poste de bureau comme il osait le dire. Durant tout son argumentaire, la gorge de la jeune femme se noue. Elle étouffe. Ses doigts se crispent sur la céramique d’une assiette pour ne pas flancher. Pourtant quelques mots s’échappent, tremblants. « Tu ne me parles pas et tu me balances ça ? Est-ce que tu as idée de ce que je vis pendant que t’es dehors ? De ce que je vis quand on m’appelle pour me dire que mon mari, l’homme que j’aime est encore cloué sur un lit d'hôpital ? » La voix monte, la colère s’invitant dans son ton. Elle se mettait rarement en colère, Emily. Elle usait même d’une patience sans nom. Pourtant, ce soir, elle voulait hurler sa douleur, ce sentiment de trahison qui brûlait dans sa poitrine. « Tu veux te faire tuer en service ? C’est ça que tu cherches, Jax ? » Elle n'attend pas véritablement de réponse de sa part. Et pourtant, le regard qu’il lui jette en dit long. Une part de son âme se fissure. « Très bien. Pour une fois, tu as tout dit. » Assiette qu’elle rince avant de la poser sur le rebord de l’évier. Elle jette l’éponge au fond de ce dernier. Elle évite le regard de son époux, le cœur au bord des lèvres, résolue. Elle enfonçait elle-même un poignard cuisant dans les tréfonds de sa poitrine, mais il n’y avait pas d’échappatoire possible. Il ne voulait pas de son aide. Il ne voulait plus d’elle, de son amour et de ses mains tendues. Alors, elle se devait de partir. Elle ne pouvait plus être témoin de cette auto-destruction qu’il s’infligeait. Elle ne serait pas capable d’affronter un appel de la station l’informant qu’il avait perdu la vie. Elle ne serait pas capable d’affronter le silence et l’absence qui s’en suivrait. Elle préférait partir, souffrir, mais savoir qu’il était là quelque part, vivant. Alors, au petit matin, elle déposa son alliance sur le comptoir de la cuisine, une valise à ses côtés pour partir se réfugier chez ses parents et initier la procédure de divorce. Cette décision la hantera à jamais.


Madame Graves était redevenue Mademoiselle Nolan. Ancrée dans sa décision, Jackson lui avait prouvé qu’elle avait eu raison de partir. Le silence s’était étiré entre eux et les entrevues s’étaient faites uniquement dans le bureau de leur avocat. Pas un mot supplémentaire. Pas un je suis désolé, pas un reviens, pas un je t’aime. Pas un seul désaccord. Comme si les neuf années partagées avaient été effacées et qu’il ne restait rien à sauver. Ils étaient redevenus deux étrangers. Et cette fois, aucun des deux ne tentait de s’apprivoiser. C’est ainsi que trois années passèrent dans le mutisme le plus total. Sauf lorsqu’il s’agissait de faire garder leur chien ou des cartes d’anniversaires et de fêtes des pères. Love, Cupcake. Elle n’avait pu s’en empêcher, de lui montrer une partie infime de cet amour qui persistait au fond de sa poitrine. Sauf que cette année-là, aucune carte ne viendrait. Elle avait dû laisser Cupcake s’envoler. Bête laissant sa maîtresse en proie au désarroi. Ce n’est qu’un chien, lui avait-t-on répété. Il n’y avait rien de plus faux que cette affirmation. Cupcake avait été tout un symbole. Celui d’un amour inconditionnel. Celui d’une famille unie dans l’adversité. Celui d’un soutien sans faille. Il était sa famille, leur famille. Et, à présent, il la laissait là, seule et démunie. Alors, elle l’avait appelé. Jax. Pour qu’il puisse dire adieu à cet ami à quatre pattes. Mais aussi, égoïstement, pour ne pas être seule à faire le deuil. Aussi, pour qu’il lui offre le creux de sa paume et qu’elle s’y cramponne comme si sa vie en dépendait. « Je suis désolée, je ne me voyais pas appeler quelqu’un d’autre. », avait-elle soufflé sur le parking du vétérinaire. Si elle avait été en possibilité de s’entourer de son petit-ami ou de ses parents, il n’y avait eu qu’un seul visage qui s’était imposé derrière ses paupières. De nouvelles larmes firent leur apparition. « Pardon, je suis ridicule. », murmure-t-elle entre deux sanglots étranglés. Et tandis qu’elle tente de chasser ses larmes, deux bras enlacèrent ses épaules. Pendant quelques secondes, elle se retrouva tout contre sa chaleur, inspirant les mois manqués, tout comme son odeur. Flou qui se crée entre eux. La réalité s’éclipse. Et lorsqu’elle se redresse pour s’excuser d’avoir mouillé sa chemise de ses larmes, c’est une sensation de flottement qui s’empare d’elle. Avant qu’elle ne réalise, leurs souffles se mêlent et leurs lèvres se joignent, comme si elles ne s’étaient jamais quittées. Moment éphémère qui s’effrite. « Prends soin de toi, Em. » Hébétée, elle le regarde s’insérer à l’intérieur de son véhicule et partir. Sombre idiote.


Les années défilent sans qu’elle ne puisse les retenir. Alors, peu à peu, elle se construit une nouvelle vie aux côtés de Lawrence. Peu de temps avant le décès de Cupcake, ses amis s’étaient permis de lui créer un profil sur un site de rencontre. Il  faut que tu laisses une nouvelle chance à l’amour., s’étaient-ils entêtés. Alors, elle s’était rendue à ce date, la boule au ventre et les nerfs en pelote. Elle avait rencontré son seul et unique amour au détour de rendez-vous médicaux. Rien n’avait été forcé. Tout s’était installé naturellement. Après son divorce, elle en était rendue là : rencontrer un parfait inconnu autour d’un repas. Emily n’avait pas pris de pincettes et elle avait abattu ses cartes d’entrée de jeu, jaugeant toute réaction pointant vers la sortie. Pourtant, Lawrence avait su apaiser ses craintes. Il n’y avait pas de ténèbres dans les tréfonds de son regard. Seulement, une envie d’avancer aux côtés de quelqu’un. Il avait su s’installer dans sa vie et se loger au creux de son cœur. Malgré le baiser mélancolique partagé avec son ex-mari, une année plus tôt, elle avait relégué ses doutes et sa culpabilité aux oubliettes. Jax et Em n’étaient plus. Passé laissant place à Lawrence et Emily. Point final.

Pour la seconde fois, son père l’accompagne devant l’autel. Accrochée à son bras, un sourire radieux flottant sur ses lippes, elle ne laisse place à aucune autre pensée, à aucune comparaison. Un nouveau chapitre fleurissait et elle en écrirait chaque ligne avec bonheur. Et pourtant, l’existence plongea soudain dans les ténèbres. « Ta mère est à l'hôpital, il faut que tu viennes. » Un appel et le monde de la Nolan sombre. L’âme lumineuse de sa mère vacille. Elle est atteinte d’un cancer du pancréas avancé. Le pronostic n’est guère positif, mais la famille se rassemble autour de la matriarche. A tour de rôle, chacun amène la patiente à ses rendez-vous. Et dans une envie de faire un pied de nez à la vie, Emily prend divers congés afin de passer le plus de temps aux côtés de celle qui lui avait donné la vie. Cours de poterie, de pole dance, théâtre, karaoké, concert, spa, week-end à la campagne … Tout y passe. Les deux femmes font en sorte d’extraire le maximum de lumière d’une situation à sens unique. Elles se perdraient au bout du compte, mais elles auraient croqué la vie à pleines dents. Ensemble. Quelques mois plus tard, Gillian Nolan s’éteignait. Et malgré tout, au creux de la gorge d’Emily, il n’y aurait jamais assez de souvenirs à chérir.

La disparition de la matriarche Nolan avait laissé un grand vide. Véritable entre le père et la fille, malgré tout l’amour qui les unissait. Son absence avait creusé un semblant de distance entre les deux. Du moins, c’était ce qu’Emily ressentait. Du côté de Lawrence, il en était de même. Dans le confort de leur maison, la routine prenait sa place. Ils se racontaient leurs journées du bout des lèvres et s’endormaient après avoir échangé un baiser pudique. Aveuglée par ce sentiment de sécurité, d’amour tranquille, elle poursuivait son chemin sans se poser plus de questions. Pas même lorsque son époux fit la grimace à l’idée de devenir famille d’accueil. « Il a besoin de nous. », argumenta-t-elle, et même si elle vit la phrase de Lawrence se matérialiser au fond de ses yeux, elle l’ignora. Elle avait rencontré Galen lors de diverses entrevues. D’abord, à la suite d’un appel d’urgence indiquant qu’un de ses parents était inanimé dans la salle de bain tandis que l’autre hurlait hystériquement dans la pièce d’à côté. Puis, lors d’un appel de son école, indiquant qu’il ne pouvait se nourrir correctement lors des pauses de midi et qu’il arrivait souvent en retard en cours puisqu’il effectuait près de six kilomètres à pied. Et tandis que la liste s’allongeait, Emily apprenait à connaître l’adolescent, établissant un lien de confiance, tangible. Durant des mois, elle fourmillait d’une solution, mais s’en tenait aux règles qu’on lui imposait, comme toujours. Puis, la décision du juge tomba. Il devait être confié à une famille d’accueil en attendant une évolution quelconque de la part de ses géniteurs. Un adolescent de treize ans, personne ne se bousculait au portillon afin de l’accueillir. Et pourtant, la jeune femme n’hésita pas plus d’une seconde avant de lui ouvrir la porte. « Merci, Emily. » La voix de Galen la stoppa dans son élan, alors qu’elle allait refermer la porte de sa chambre après lui avoir souhaité bonne nuit. Dans un sourire, elle hocha la tête. « Ne me remercie pas, tu es chez toi. », souffla-t-elle avant de se détourner. La route serait longue, elle n’en doutait pas. Ils allaient devoir s’apprivoiser un peu plus encore. Et pourtant, elle restait persuadé que ce gamin n’était pas entré dans sa vie par hasard.

« Comment ça, vous partez vous installer à Clifton ? Clifton, Texas ? », s’exclama le patriarche Nolan, le visage rouge d’énervement. Étonnée par la réaction disproportionnée de son père, la jeune femme se redresse sur son fauteuil, fronçant les sourcils. « Il y a un problème avec cette ville ? », demanda-t-elle dans un demi-sourire moqueur. Dans un signe de tête négatif, le soixantenaire se retranche dans son mutisme, pensant naïvement que sa fille lâcherait l’affaire. C’était sans véritablement la connaître. Cependant, l’histoire traîna durant la semaine qui suivit. Une dispute avait fini par éclater, laissant l’assistante sociale dans un état de choc flagrant. Elle peinait à croire la révélation de son père. Il avait eu un enfant hors mariage. Il avait trompé son épouse, la mère de son enfant. Pendant des mois, il avait mené une double vie. Avant de reprendre mes esprits, avait-il dit. « Tu devrais avoir honte de toi. » Emily n’avait pu s’empêcher de lâcher en franchissant l’embrasure de la porte d’entrée. Ses parents n’avaient pas toujours été un couple modèle et pourtant, elle avait toujours été capable de déceler cet amour qui les unissait. Aujourd’hui, une illusion prenait fin.

« Je peux venir avec toi ? », demanda Galen, une moue boudeuse affichée sur ses traits. Dans un soupir, elle déposa un baiser sur la joue de l’adolescent. « On se voit dans quelques semaines, je te le promets. », souffle-t-elle, avant d’ajouter. « Qui sait, vous trouverez peut-être un terrain d’entente avec Lawrence. », tenta-t-elle avec espoir. Cependant son fils ne sembla pas être du même avis puisqu’il leva les yeux au ciel. Il l’aida à hisser la valise à l’arrière du taxi qui l’attendait. Après une étreinte, elle passa une main sur sa joue. « Je te fais confiance. », chuchota-t-elle avant de se tourner vers Lawrence qui patientait dans l’allée, les mains dans les poches. Il s’avança et dans un soupir, elle l’embrassa doucement. Un sourire échangé et elle tourna les talons. Une boule au creux de la gorge, quittant ville natale, famille et amis, par amour. Ou bien était-ce un caprice du destin ?

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