Le Doc est encore en train de soigner la plaie à vif, que déjà son oncle lui pose tout un tas de questions sur les événements, grognant à chaque réponse que Clyde arrive à articuler entre un coup de scalpel et d'aiguille. Insatisfait de chacune d’entre elles. Évidemment.
Ils n’ont pas été assez prudents, ont perdu trop de temps sur la route. La transaction était simple et planifiée au détail près. Sauf que Tig n’y était pas et qu’il est toujours plus facile de juger une situation quand on a son cul posé en sécurité sur un tabouret. Clyde, lui est allongé sur une des tables du bar, une balle laissant un trou béant dans son épaule droite. Alors dans l’immédiat, il préfère s’enfermer dans la douleur plutôt que de laisser ses mots l’empoisonner. Alby s’est barré tout juste le fric posé sur la table, alors que ses yeux balançaient au Président tout ce que son rang l'empêchait de dire. Et Clyde commence à regretter amèrement de ne pas l’avoir suivi.
Le Doc a tout juste le temps de finir le bandage, que Clyde prend la fuite. Ses jambes le tiennent à peine, mais il refuse de rester là plus longtemps.
Personne ne doit savoir, surtout pas Beth, il lâche entre ses dents serrées alors qu'il passe devant Tig sans un regard.
(...)
Trois jours plus tard, il semble que la promesse ait été tenue. Personne n'est venu gratter à sa porte. Cependant, le regard de Tig baigné de colère et de déception lui colle à la peau. S’il n’avait pas si mal, s'il n'était pas si défoncé, il retournerait au Bloody Counter lui coller son poing dans la gueule. Mais Clyde vacille, grogne et s'essouffle à chaque geste. Le Doc l’a prévenu que la douleur serait tout juste supportable. Alors il tente de l'assommer à coup de weed, d’antalgique et d’alcool dans son mobil-home enfumé. Seules les visites quotidiennes de ce dernier pour changer son bandage et surveiller la plaie, lui permettent de garder un semblant de fil conducteur. Mais trop souvent, il se prend à confondre le jour et la nuit.
Dehors, un des prospects attend sagement, le cul posé sur une chaise défoncée par le temps. C'est lui qui l'a ramené l'autre soir et depuis, il n'est pas reparti. Clyde sait que le Président l’a missionné pour garder un œil sur lui. Il n’a pas encore décidé si ça le faisait chier, en attendant il est chargé de rouler ses joints, lui acheter de l'alcool et ne laisser personne approcher.
Il pue la transpiration et le désinfectant. Le ventre est vide. Le téléphone éteint. Il s’isole, lutte seul contre les vagues de souffrance qui s’abattent sur lui. Parfois, tout se confond et il ne sait plus vraiment où il est, oscille entre rêve et réalité. Les cauchemars s'enchaînent au milieu de ses réveils agités, jusqu’à ce que la douleur vienne le libérer. Cri muet dans la nuit, elle le frappe de plein fouet. À l’en faire gerber.
Aujourd'hui, c'est un tout autre bruit qui le sort de son coma. Un bruit de moteur, de freins qui s'activent un peu trop brusquement, puis la voix du prospect.
B'jour, Madame Saracen. La porte du pick-up qui claque et des pas qui se pressent sur la terre sèche.
Madame Saracen, j’peux pas vous laisser passer. Clyde a dit.. Le reste est étouffé alors que le ton glacial d’Elisabeth semble lui promettre mille souffrances. Impossible de distinguer clairement ce qu'elle marmonne, mais Clyde sait déjà que ça sera suffisant.
Et ça l'est. Tout juste deux secondes plus tard, elle frappe à sa porte.
Il ne se lève pas tout de suite. L'œil passe en revue le canapé sur lequel il se laisse crever depuis plusieurs jours, les bouteilles de whisky qui s'entassent sur la table basse et à côté le cendrier où les mégots n'ont plus assez de place et commencent à faire leur vie tout autour. Les stores sont tirés, laissent à peine entrer la lumière du jour. Il décide de s'en foutre, après tout c'est un décor que sa mère ne connait que trop bien.
À nouveau, les poings de la mère Saracen cognent contre la porte. Elle semble s'impatienter et ça fait naître un début de sourire sur le visage de Clyde. Difficilement, il se lève, enfile un bas de jogging qui traîne au sol, ne s'embarrasse pas à couvrir son torse. Rien que le fait d'imaginer enfiler un t-shirt lui tire une grimace. Puis il se dirige vers l'entrée et ouvre, bloquant le passage et la vue sur l'intérieur du mobil-home. Le soleil l'aveugle assez pour qu'il ait besoin de se tenir à l'encadrement de la porte un instant. Il soupire, frotte ses yeux et observe la silhouette qui se dessine à contrejour face à lui.
Qui a balancé ? lui glisse-t-il d'un ton neutre, alors que ses yeux se font peu à peu à la lumière du jour.