The outsiders

L’impression d’un éternel recommencement. L’heure sur le réveil, toujours la même. Le goût du café, toujours le même. Le sourire fatigué de l’épouse, toujours le même. Ah non, petit changement, le pater Baxter a fait l’effort de mettre une fleur à table ce matin, parce qu’il sait que cela fait quand même plaisir à la mère en face de lui. Toujours le même beurre sur la même tartine. L’impression d’un jour sans fin. Et le boulot sera toujours la même chose. Toujours les mêmes gangs qui sèment terreur et panique en ville, toujours les mêmes petits cons pour faire de la merde dans les rues. L’arrivée toujours à la même heure, toujours avant une grande partie du reste de l’équipe. Parce qu’il ne sait plus vraiment quoi faire de ses journées, le pauvre vieux qui s’échine pourtant à suivre une ligne de conduite quasi exemplaire, qui fait de son mieux, qui vit encore, vibre encore pour ses convictions. Utopiste au regard clair qui aime croire en la bonté dans chaque âme. Il aurait été damné du Paradis pour de telles croyances. Semblable de Lucifer pour rêver, pour espérer que toute personne puisse un jour changer. Sauf les vieux. Eux, on ne peut plus rien pour eux. Et les Karen. Ah, elles, ont ne peut plus grand chose pour elles non plus. Faut dire qu’elles ont la tête dure, la rancune tenace et l’égo d’un paon en pleine roue nuptiale. Porte fermée dans le dos, lumière laissée éteinte. Seul. Pour l’instant. Café qui coule déjà dans la tasse. Second, ou troisième, il ne sait plus. Il cesse de compter le nombre de tasses caféinées qu’il s’enquille à la journée. Veste sur le dossier de la chaise, un regard rapide à l’agenda. Un rendez-vous. Une réunion même, importante en voyant le petit trait rouge laissé à côté. Réunion avec un Marshal et son protégé. Tasse descendue d’une seule traite, à s’en cramer la langue. Nouvelle tasse servie. Deux autres tasses sorties, en amont, savoir recevoir. Il essaie, l’ancien blond devenant grisonnant avec l’âge. Agitation dans la salle, les membres arrivent un à un. Des voix s’élèvent dans la salle principale. La tête qui passe, un petit sourire. Toujours bien accueillir les employés. Des petites conversations aléatoires, des sujets bien inutiles. Le temps, la nuit. Sourire aux lèvres, il faut bien tenir la face, tenir la barque. T’es le capitaine du navire. L’heure arrive bien plus vite qu’il ne l’aurait pensé.

Demoiselle à l’air un peu trop innocent sur le visage pour travailler ici fait asseoir le rendez-vous du Shérif Baxter sur l’une des chaises. Marshal qui se tient droit, à l’aise, à ses côtés. Demoiselle qui propose un café, uniquement au Marshal, ne sachant pas qui il est ni même pourquoi il est là. Elle se méfie, elle aussi, naturellement, de chaque personne qui passe le porche de ce bureau. Tapotant contre le mur pour signifier au cinquantenaire que son rendez-vous est là. Petite tête qui passe dans l’encadrement du bureau, elle prévient de vive voix lorsque le vieillard se lève. Ce n’est pas commun, pour lui, d’accueillir une demande pareille, d’accueillir dans une petite ville telle que Clifton un Marshal. Le stress ? Un peu ?  Sans doute. C’est le caractère inédit de la demande et de la situation qui titille le shérif qui rejoint le Marshal. Un œil jeté à son accompagnant. C’est donc pour lui que tout ce petit monde est là. Un hochement de tête, simple signe. Pas bavard ? Tu sais pourtant l’être, bavard. Que tout le monde prenne place. Deux chaises pointées de la main, le café chaud, coulé et servi dans les tasses. "Du sucre ?" C’est trivial, comme souvent, pour aborder une conversation. Le cul posé dans la chaise, le dos bien au fond, les papiers entre les mains. Lecture rapide, par-dessus l’épaule. Lecture loin d’être attentive parce qu’une bonne discussion est toujours mieux. "C’est pas commun ce genre de visite …" Non, jure, connard. Et pourtant, malgré le ton sérieux, il y a cette ombre de sourire qui glisse sur ses lèvres. Amusé ? Peut-être. "En quoi est-ce que j’peux vous être utile." L'homme de loi s’adresse essentiellement au Marshal, traitant ainsi, sans vraiment s’en rendre compte sans doute, l’homme à ses côtés comme un enfant qui n’aurait pas le droit à la parole.

Il pourrait s’en vouloir d’avoir ainsi relayé Taylor au rang d’enfant puni que l’on écoute même pas. Il remercie, le Marshal, de cette entrevue. Il sait que ce n’est pas une situation qui doit arriver très souvent. Non, c’est un fait. Généralementil doit presque se battre pour attraper les malfrats. S’il peut faire quelque chose pour aider, c’est eux qui viennent prévenir de la situation particulière. Il est chargé de surveiller Taylor. Un premier hochement de tête de la part du shérif. Il se trouve être un témoin protégé. Nouveau hochement de tête. Notes mentales prises en silence. Il laisse le Marshal s’exprimer tout en profitant de son café encore chaud. Cela étant dit, il n’est pas que témoin. Sourcil arqué. Oisín attend la suite de la phrase. Il est aussi un ancien criminel. Intéressant. Il se redresse sur sa chaise, s’approchant de son bureau. Le regard détaillant l’ancien criminel devenu témoin protégé. C’est pour cela qu’il est là. Pourquoi il a demandé à le voir. Avertir le Shérif qu’il y a quelqu'un possédant un casier en ville. S’il savait, le Marshal, le nombre de personnes en ville avec un casier ou un casier esquivé comme une anguille. Taylor qui prend la parole. Qui attise la curiosité presque enfantine de l’homme de loi. C’est du passé, c’est loin tout ça. Tout ce qu’il veut c’est une vie bien rangée, normale. Tranquille. Nouveau hochement de tête en silence, le regard se posant sur les papiers menés par le Marshal. Braquage. D’accord. Crimes. Sans plus de détail. Le passif criminel est également un passif familial. De la peine pour Taylor ? Non. De la compréhension. L’on a souvent du mal à se détacher de ce que sa famille à pu faire. Tu as, toi-même, eu du mal à te détacher de l’image d’alcoolique que ton père à véhiculé. Oisín laisse son regard parcourir les diverses notes avant de redresser le regard sur le principal concerné de l’entrevue. Pas le Marshal, mais Richard. "Une vie normale et rangée …" Qu’il se permet de soufflé. Il y croit. Il a envie d’y croire pour être précis.

"Loin de moi l'envie de vous manquer de respect Marshal, je comprends que vous preniez votre travail à cœur et je vous remercie de cette honnêteté. Cependant …" Cependant, Richard ne sera pas le premier criminel ou ancien criminel présent en ville. "Taylor n’est pas le seul détenteur de casier ici et … je vais être honnête, je ne suis pas collé aux couilles des autres comme un morpion." Il croit, le Shérif Baxter, à la seconde chance. Il croit que tout le monde mérite d’être écouté et d’avoir droit à une seconde chance. Chacun à droit à la rédemption. Sauf certains cas. Tout ce qui touche aux enfants, c’est non. C’est catégorique chez lui. "Mais je verrais ce que je peux faire." Nouveau regard vers Richard, comme pour l’inciter à parler à son tour, à prendre la parole. "Autre chose que je devrais savoir quant à votre présence ici ?"