ANTI-HERO

Plusieurs semaines que suis à Clifton. J'ai vu mon frère. J'ai appris que mon père était au Mexique pour une durée indéterminée - ce qui m'arrange, je dois le reconnaître. J'ai participé à une course sauvage dans le désert - une première ! - et j'ai gagné quelques billets. J'ai couché avec un inconnu, après plusieurs mois d'abstinence. J'ai trouvé un job au Saloon le plus coté de la ville, si ce n'est de la région. J'ai rencontré la fille la plus pétillante et la plus complexe du monde, qui a proposé de m'héberger le temps de pouvoir me retourner. J'ai été agressée physiquement par un enfoiré - qui n'a pas réapparu encore, ouf ! J'ai été sauvée par un boxeur professionnel, plutôt canon, qui me donne des cours depuis - histoire de savoir me défendre toute seule. Je suis quasiment contactée chaque jour par des inconnus, pour me proposer une colocation - merci Sierra ! J'ai revu Jayson, ici à Clifton, après deux années sans nouvelles à New York. J'ai appris que l'inconnu avec qui j'ai osé faire binbingchicobang était le meilleur ami de ma nouvelle coloc' et potentielle nouvelle BFF - dont elle est secrètement amoureuse ! Est-ce que ma vie peut être plus bordélique ? Est-ce que j'ai besoin de dire que je vis de véritables montagnes russes depuis que j'ai emménagé au Texas ? Est-ce que l'univers en a fini avec moi ? Non, parce que je trouve que j'encaisse pas mal jusqu'ici. Parfois, je me dis que je ferais mieux de plier bagages et retourner chez moi. Là où tout est à sa place, où rien ne dépasse. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre. Je suis venue pour LE rencontrer. Pour LE connaître. Pour comprendre. Pour ME découvrir. Je ne sais pas DU TOUT ce que ça signifie. Je ne sais pas à quoi m'attendre, pas tant qu'il sera au Mexique, pas tant que je ne l'aurais pas vu. Et même si cette idée me terrifie, je sais que je ne partirais pas tant que j'aurais ce goût d'inachevé.

Alors, en attendant, je me fonds dans la masse comme je le peux. Je m'intègre comme je le peux, comme on m'aide à m'intégrer. Je tente de me faire petite - bon, ça je n'ai pas trop de mal avec mon petit mètre 55. Et quel meilleur moyen de s'intégrer que de participer aux évènements de la ville ? J'aurais préféré venir en compagnie de Sierra - mais elle s'est évadée pour quelques jours. Apparemment, ça lui arrive souvent et je ne dois pas m'inquiéter. Peut-être que le festival, et ses diverses activités, feront taire mon stress pour ma blonde. Parce que, si je comprends son besoin de solitude mieux que n'importe qui, je commence à comprendre l'impuissance que ma mère a ressenti tellement de fois. Quelque part, j'espère apercevoir ma nouvelle amie parmi le monde qui grouille aux stands. Il y en a pour tous les goûts. Pour ceux qui aiment bouffer - avec gaufres, crèpes et churros comme aux fêtes foraines, ou encore des tacos, des burritos, des nachos, et j'en passe. Pour ceux qui veulent apprendre la country - non, non, ne me regardez pas ! - il y a des cours avec concours à la clé pour élire le ou les gagnants. Pour ceux qui adorent le shopping, des stands de vêtements spécial western et country. Pour les fans de tatouages, on propose des motifs en lien avec la country, comme des étoiles, des fers à cheval, et des silhouettes de cow-boys (heureusement, tatouages temporaires, faut pas déconner !). Ah, pour ceux qui aiment boire bien sûr, il y a des stands de dégustation de whisky mettant en avant des marques américaines et écossaises. Et ça ne serait pas un véritable festival digne de ce nom sans des produits artisanaux, n'est-ce pas ? La sélection est de qualité, je dois dire, inspirée de la culture country, tels que des bijoux en argent, des objets de décoration en bois, et des poteries. Bordel, ils font même des stands esthétiques, proposant aux visiteurs de se faire maquiller version country : des étoiles ou encore des drapeaux américains. Ils ne font pas les choses à moitié, et ça me plait bien. Mais ce qui m'attire, moi, ce sont les stands spécial jeux inspirés du Far West : le lancer de lasso, le rodéo mécanique, le tir à la corde, ou encore le lancer de hâches.

Garçon manqué, moi ? Nan. A peine. Je jette mon dévolu sur le lancer de hâches. Je n'ai jamais tenu une hâche de ma vie, qu'on soit d'accord, mais j'ai déjà vu pleins de gens faire ça et ça m'a toujours intriguée. J'ai vu une vidéo où Jason Momoa en lançait pleins à la suite, alors ça ne peut pas être si compliqué, non ? Je tends un billet, offran un sourire à la femme qui me donne mes trois hâches. " Si t'arrives à lui clouer le bec et à l'éduquer, celui-ci, je t'offre les trois prochains avec plaisir ma jolie, " me dit-elle avec un clin d'oeil, pointant du doigt l'homme qui se trouve à ma gauche. Si elle compte sur moi pour battre cette armoire à glace, elle va être extra-déçue. Je me demande même si quelqu'un peut le battre vraiment. Cela dit, je n'ai jamais refusé un défi. " Je promets de tout donner, en tout cas, " je réponds simplement en observant d'autres participants pour voir leurs positions, leurs techniques. Je croise le regard de l'armoire à glace, et il m'offre un sourire plutôt provocateur. Je relève un sourcil, interrogatrice. " Quoi, tu crois que je ne suis pas capable de gagner ? " Non, Lina, tu n'en es pas capable. Mais l'idée qu'il puisse être si sûr de lui, et s'en amuser, me hérisse déjà le poil.

« Ouais, ouais, y a des couches et tout ce qu’il faut dans l’armoire. » Je balaye l’air de mon bras, pointant l’un des placards de la main avant de sortir mon portefeuille, comptant les billets comme si c’était des cartes Pokemon. Je tends une coquette somme à l’adolescente dont j’ai oublié le prénom – si je lui ai seulement posé la question –, la seule babysitter que j’ai réussi à trouver en dernière minute.
Cette conne ne s’est d’ailleurs pas faite prier lorsqu’il a été question de gonfler ses tarifs parce qu’elle aussi aurait aimé profiter de sa soirée. Mais comme je ne suis pas contrariant et que je n’ai de toute façon trouvé personne d’autre, je n’ai pas cherché à discuter le prix.
« Je t’enverrai un message quand je compterai rentrer », la préviens-je en vérifiant que j’ai bien encodé son numéro quelque part. Les yeux rivés sur l’écran, je repère rapidement Nounou 4 intercalée entre mes conversations avec Mal et Savie. Historique immaculé d’un père de famille que l’on ne soupçonne pas de préférer Tinder à l’application Messages. J’évite pourtant soigneusement de regarder le nombre de notifications associées à l'icône rose au milieu de laquelle brûle la très reconnaissable flamme blanche.
Téléphone verrouillé, affaire conclue, je prends congé de mon gosse et de "Nounou 4" pour retrouver l’odeur de cuir de mon baquet aux surpiqûres rouges.
Volume réglé au maximum pour me faire oublier que j’ai déjà avalé une demi bouteille de champagne ce soir, je démarre sans caler, la preuve que je suis parfaitement en état de conduire.


Je fends la foule d’un pas détendu, parfaitement à l’aise à l’idée de ruiner mes chaussures dans la poussière des allées piétinées. Les stands retiennent à peine mon attention, je préfère saluer chaque personne que je connais, serrant des mains et échangeant quelques banalités pour maintenir les relations quand je ne suis pas trop occupé à pianoter sur mon téléphone.
Ça sent bon la nourriture frite et il flotte dans l’air cet esprit purement texan qui me réjouissait tant quand j’étais gosse. Maintenant que j’ai grandi, ça m’excite un peu moins. Probablement parce qu’aujourd’hui je peux m’acheter ce que je veux sans plus éprouver la satisfaction de voir ma mère céder à mes caprices. Pourtant les churros étaient toujours meilleurs quand j’avais dû pleurnicher un peu pour les avoir. Aujourd’hui, tout me semble trop facile et ça en fait perdre sa saveur aux choses.
Je n’ai qu’à sortir les billets pour avoir ce que je veux, qu’à distiller quelques messages ponctués d’émojis aubergine pour m’envoyer en l’air avec une touriste de passage à Clifton.
Ce soir n’y fera pas exception. Je compte bien dévaliser le stand de gaufres et baiser mon dernier match Tinder quand elle se sera décidée à me répondre – et si je ne me suis pas lassé entre-temps !
Je suis au stand de lancer de haches, que je lui envoie finalement après lui avoir demandé à quelle heure elle comptait arriver. Question qu’elle avait déjà ignoré d’un vu dix minutes plus tôt, sans doute parce qu’elle est en train de s’apprêter.

Ca faisait rire tout le monde de m’imaginer froisser mon polo mais ils ont rapidement ravalé leur salive en me voyant enchaîner les sans fautes. Véritable sniper scandinave, je me prends au jeu et enchaîne les lancers, fanfaronnant un peu plus à chaque fois que quelqu’un tente de faire mieux que moi.
Puis je la repère enfin. Petite brune au regard sombre. Visage inconnu au milieu de toutes les têtes familières que j’ai croisées jusqu’ici. Je lui décoche un sourire, le genre de sourire qui veut dire que je vois clair dans son petit jeu.
Content de voir qu’elle n’avait pas répondu à mes messages parce qu’elle était déjà en chemin, je me sens presque flatté qu’elle ait fait si vite. Pressée de goûter à la baise dans une Ferrari ou simplement curieuse de voir qui se cachait réellement derrière mes cinq photos postées sur Tinder.
Elle me provoque de sa voix fluette et je me rapproche pour la regarder de plus près. Je n’avais pas en tête qu’elle avait les cheveux si longs ni qu’elle avait les pommettes si marquées mais ça me convient très bien. C’est bien la première fois qu’un de mes dates est mieux en vrai qu’en photo, tout ça sans même cacher ses traits derrière une tonne de maquillage.
« Je ne crois que ce que je vois », susurré-je avec insolence, surpris qu’elle veuille s’essayer à la discipline. « D'ailleurs je t’offre les trois prochains essais. T’en auras besoin, cariño. »
Un tour sur mes genoux et trois haches offertes, on dirait que je suis d’humeur généreuse ce soir.

Pourquoi il me regarde comme ça, celui-là ? Est-ce que c'est un attardé ? Oh mon dieu, ne le regarde pas comme ça, Lina, je me sermonne en détournant le regard un instant. C'est une armoire à glace. Et c'est un pro du lancer de hâches, apparemment. Mais il a clairement une case en moins. Avec tout le respect que je lui dois - et que je dois à tous ceux qui souffrent du même handicap ! Je m'enfonce. Je sens son regard insistant sur moi, et je finis par recroiser son regard. Fronçant le mien. Nous ne sommes clairement pas sur la même longueur d'ondes, mais je n'arrive pas à définir son problème. Il en a clairement un. On dirait qu'il mate son prochain repas. EURK. « Je ne crois que ce que je vois », qu'il me susurre, un peu trop proche de moi pour mon bien-être, et surtout pour le sien. Les cours d'Alby vont peut-être bien servir à quelque chose ce soir. " Tu devrais reculer, je ne voudrais pas te planter cette hâche par maladresse... " je l'avertis au cas où. Ca sera tout, sauf de la maladresse s'il continue de me reluquer de la sorte, et de me... coller comme il semble avoir envie de le faire. Diable, il se croit tout permis ?! C'est clair qu'il a la tête d'un type qui n'a pas l'habitude qu'on lui dise NON. La tête d'un type qui a l'habitude d'obtenir TOUT ce qu'il veut. La tête d'un type pour qui la CHANCE est un second prénom. La tête du genre de type que j'exècre du plus profond de mon coeur. Mais je suis gentille, je lui laisse encore le bénéfice du doute. Il peut tout simplement être un type tactile et joueur, qui s'excite un peu trop quand il gagne à un jeu. « D'ailleurs je t’offre les trois prochains essais. T’en auras besoin, cariño. » Ou pas. Quelle arrogance. Quel toupet. Il ne ressemble tellement pas aux types qui osent me parler ainsi habituellement que j'en perds la parole. J'en beugue même. Vraiment. Comme le son d'un ordinateur qui signale une ERREUR404. Je n'ai même pas le temps d'exprimer ma consternation que le BIP indiquant que c'est le moment de lancer résonne. Pas le temps de me concentrer. Pas le temps de viser. Pas le temps de réfléchir. Alors je prends le manche, et je balance la hâche en priant de toutes mes forces de n'atteindre personne par... inadvertance. Elle se plante dans la cible. Du voisin. Bah quoi, ça compte quand même, non ? Au regard que me lance le malotru, je me fourvoie un peu. " Je n'étais pas prête, " que je lui balance, de mauvaise foi. Je me prépare pour le second lancer, mais la proximité de l'armoire à glace me met les nerfs à rudes épreuves. " J'peux savoir pourquoi tu me colles comme ça ? " je m'énerve un peu en gesticulant pour lui signaler de se décaler, de reculer, de même dégager. " Parce que moi, j'appelle ça de la triche. Tu cherches à me déconcentrer," je l'accuse, toujours de vilaine mauvaise foi.

Je lance la seconde au BIP. J'atteins mon monceau de bois. Mais pas la cible. Forcément. Les gens se détournent, déçus de ne pas voir en moi CELLE qui cloue le bec au sale type qui se la pète comme jamais. " Une chance pour moi que tu paies ma partie... " je reconnais ma défaite, même si elle me brûle la bouche et me fait grincer des dents. Au moins, je le fais casquer. Et je ne culpabilise pas, il pue le fric donc il a clairement les moyens. Je lance la troisième et dernière hâche en ma possession et lève les bras en l'air lorsqu'elle se plante en plein milieu ! J'en oublie un instant avec qui je suis, et l'animosité qui m'habite en sa présence. Je crie de joie. Je saute de joie. Puis, son sourire moqueur efface le mien. Retour à la réalité. " On t'a déjà dit que tu avais une tête à claques ? " parce que moi, je te le dis !

« Si tu pouvais éviter de m'abîmer, ça m’arrange, en effet », rétorqué-je à sa mise en garde, trouvant ce jeu de provocation nettement plus palpitant que notre conversation sur l’app de rencontres.
Décidément, tout arrive. Une fille potable en photos qui s’avère être un avion de chasse en vrai, chiante comme la pluie par messages mais spicy as fuck une fois une hache en main. Et moi je me délecte du spectacle, profitant qu’elle a le dos tourné pour admirer le châssis, relevant les yeux vers les siens à chaque fois qu’elle menace de me refaire face.
« Je n’étais pas prêt non plus », réponds-je à son excuse. Sauf que je ne parle pas du lancer mais bien d’elle.
Non, je n’étais pas prêt à tomber sur quelqu’un comme elle et ça vient clairement d’égayer ma soirée. Tellement que je n’ai même pas encore cherché à la comparer à la mère de mon gosse. Je me réserve ce genre de pensées pour le moment où on passera à la vitesse supérieure. Mais pour l’instant, je profite seulement du show et de sa fausse mauvaise humeur alors que ça paraît évident qu’elle flirt.
D’ailleurs quand elle m’accuse de la déconcentrer par notre proximité, je me fends d’un nouveau sourire, l’ego boosté par sa remarque. « Loin de moi l’idée de te déstabiliser, cariño. Je ne savais pas que je te faisais autant d’effet », murmuré-je pour qu’elle seule puisse m’entendre avant de reculer sagement, comme elle me l’a demandé.
Je l’observe changer de position, chercher son équilibre en même temps que l’angle idéal pour viser. Faire mieux mais pas encore assez bien pour me clouer le bec.
« Une chance pour toi, oui », que je réponds avec détachement, mon air suffisant lissant mes traits en un rictus satisfait.

« Levi ? » Je me retourne au moment où la brune vient de réussir son premier lancer pour croiser le regard de… la meuf de Tinder.
Le cerveau se met en sécurité, les mains deviennent moites. C’est quoi ce bordel ?
Je ne relève même pas l’insulte de la première, trop perturbé par l’arrivée de la seconde. Incapable de comprendre ce qu’il se passe. Pas foutu de savoir comment c’est possible.
A croire que derrière ma tête à claques se trouve un bocal vide. Parce que maintenant que je les ai toutes les deux en visuel, je réalise à quel point il est impossible de les confondre. Elles n’ont que leur couleur de cheveux en commun et peut-être leur âge. En espérant qu’elles soient majeures. Putain.
« C’est toi, non ? » que l’autre insiste alors qu’elle ne fait clairement pas le poids. Ni face à la demi-portion qui lance des haches, ni face à celle qui porte la bague que je lui ai offerte quelques années plus tôt.
« Non, Levi c’est mon frère. Et c’est con parce qu’il s’est barré en ne te voyant pas arriver. » Mal’ aurait été capable de se la faire en plus. Avec un peu de THC dans le sang et quelques bières au compteur… Mais moi non. Le bodycount restera figé pour aujourd’hui, sauf si celle à qui j’ai offert des haches se révèle intéressée par autre chose que par ma gueule – qui ne lui revient apparemment pas.
L’autre se renfrogne et se met déjà à marteler furieusement son clavier alors qu’elle s’éloigne, ne me laissant qu’une nouvelle notif en souvenir.
Je la suis des yeux uniquement pour m’assurer qu’elle ne reviendra pas et reporte mon attention sur celle que j’avais prise pour mon casse dalle.
« Un merci aurait fait l’affaire mais je vais éviter de te contrarier alors que t’as des haches à portée de main », rétorqué-je enfin à sa provocation, pertubé par la situation.
« C’est quoi ton nom, championne ? » Histoire que j’arrête de l’appeler cariño et que je puisse lui balancer que je me prénomme Mal’. Au cas où elle aurait réellement envie de me foutre des baffes… Le pire, c’est qu’elles seraient amplement méritées après ce quiproquo.
Tout ça pendant que mon match Tinder me harcèle de messages, faisant vibrer ma poche à tout va et espérant sans doute me rendre stérile à force de m'irradier d’ondes. Grand bien lui fasse, j’ai assez d’un seul môme pour me pourrir la vie.
Pire qu’un cancer, pire qu’une MST, et j’irai en Enfers pour avoir pensé ça.

Si je pouvais éviter de l'abîmer, ça l'arrangerait ? Voilà qui me donne encore plus envie de me rater. Bon, j'exagère, mais son assurance me rappelle beaucoup trop l'arrogance des gosses de riches que j'ai pu côtoyer au lycée. Quelque chose en lui me révoltait et faisait ressortir le démon en moi - sans que je ne comprenne exactement pourquoi. Il n'est pourtant pas vilain garçon. Ni même exécrable - si on met de côté la lourdeur de ses propos et de ses gestes. L'avantage, c'est que ça me donne suffisamment de niak pour donner tout ce que j'ai dans l'exercice. Ce qui ne porte pas ses fruits, clairement. « Loin de moi l’idée de te déstabiliser, cariño. Je ne savais pas que je te faisais autant d’effet » Je râle ouvertement en levant les yeux au ciel. Je me tourne vers lui avant de lancer cette première et fatale hache. " Ne va pas t'imaginer avoir le moindre effet sur moi, excepté celui de provoquer mon réflexe nauséeux, " et j'imite aussitôt le dit-réflexe. Mais loin de le décourager ou de le dégoûter, ma petite pique le fit rire. RIRE. Je dois bien reconnaître qu'il est persévérant et ne se décourage pas facilement. Deux qualités que j'apprécie plutôt en temps normal - sauf quand je suis le centre de l'attention. Et il semblait que je LE sois ce soir. Après lui avoir lancé un dernier regard, appréciant le fait qu'il obéisse et recule pour me laisser suffisamment d'espace pour respirer - et viser - la seconde hache atterrit au bon endroit, mais pas dans la bonne cible.

Je lance la troisième et dernière hache comme une championne quand une jeune femme se plante près de nous, s'adressant à mon pot-de-colle de la soirée. Du moins, elle semble s'adresser à lui, mais n'en est elle-même pas si sûre. Lui-même ne semble pas certain. Il en perd même la parole pendant plusieurs secondes - un miracle ! J'aimerais la remercier, mais quelque chose me dit qu'elle ne le prendrait pas très bien. Moi, j'observe. Je suis spectatrice. Et le spectacle est fascinant. Je penche la tête sur le côté, mon regard alternant entre lui, et elle. Elle et lui. Elle insiste, et ça le réveille presque instantanément. « Non, Levi c’est mon frère. Et c’est con parce qu’il s’est barré en ne te voyant pas arriver. » Et elle se casse. Non ! Sérieux ?! Elle a avalé ce bobard qui pue à des kilomètres ? Me voilà en train de beuguer sévère, face à tant de naïveté - et c'est la fille crédule qui dit ça. Mais je l'imagine tellement capable de faire un coup pareil - c'est plus fort que moi, il le porte sur lui. Et à vrai dire, je trouve la situation quelque peu hilarante. D'ailleurs, je ris. Je ris. Je ris. Je ris. Alors qu'il me dit ne pas vouloir me contrarier tant que j'ai des armes à ma portée. Je ris. Je ris. Je ris. " T'es vraiment pas croyable, toi, " je dis en riant toujours. Qu'il ne s'imagine pas qu'il me charme ainsi cependant. Je reprends un semblant de sérieux en croisant mes bras et plantant mon regard dans le sien, plus à l'aise que je ne l'étais au départ. Rire fait un bien fou. « C’est quoi ton nom, championne ? » qu'il me demande comme si de rien n'était. " Oh, non, non. Tu ne vas pas t'en sortir comme ça, " je le préviens toujours amusée. Ding. Ding. Ding. Ding. Ca n'arrête pas, et je mettrais ma main à couper que ces alertes viennent de la furie qui vient de repartir bredouille. " Oh, Levi. Quel goujat tu fais ! " je me marre en hochant la tête de gauche à droite et de droite à gauche.

" Je m'appelle Violet, " je me présente, et je mens, jouant le jeu dont il a commencé la partie. Si ce soir il veut prétendre être un autre, pourquoi pas ? " Merci pour le fou rire, " j'enchaine tandis qu'on me sert de nouveau 3 haches - merci Levi, ou peu importe le nom qu'il me sortira. " Ca t'arrive souvent de te tromper de rendez-vous ? " je demande innocemment.

Loin d’être facile, elle joue à la susceptible, se laisse même aller à quelque démonstration de sa façon de vomir. Elle y met tellement du sien que ça m’arrache un nouveau rire. C’est la première fois que je tombe sur quelqu’un comme elle et sans savoir si ses manières me plaisent ou non, elles ont le mérite de m’intriguer, de me pousser à creuser plus loin…
« T’essaies de faire quoi là ? C’est pas vraiment le lieu pour mimer une deepthroat », la titillé-je encore, incapable de ravaler mes provocations.
Pour une fois que je passe un bon moment… Et puis si elle en avait autant marre de moi qu’elle a l’air de le dire, elle n’avait qu’à pas accepter mon petit cadeau. Personne ne l’a forcée à jouer. Personne ne la retient.
Mais tant qu’elle restera, je compte bien la pousser dans ses retranchements et voir jusqu’où mènera cet échange plein de tension.
Le problème, c’est qu’elle n’est pas celle que je crois. Mais est-ce que ça change vraiment quelque chose ? Je cherchais à rencontrer quelqu’un. Je cherchais à me changer les idées. Et finalement, peu importe qui m’aide à y arriver.

Mon véritable match Tinder partie, je reporte l’entièreté de mon attention sur la brune qui peine désormais à se reprendre, littéralement prête à s’étouffer de rire tandis que je me fais bombarder de messages. Comme si me harceler allait arranger son cas. Je me mets rapidement en silencieux, masquant le tintement infernal des notifications en même temps que ma honte.
« Ça va, je suis resté gentil ! Elle n’avait qu’à mettre des photos réalistes aussi… Il y avait publicité mensongère », me défends-je d’un ton presque vexé. « Qu’est-ce que je devais faire ? »
C’est une vraie question. A part lui dire la vérité et lui créer de nouveaux complexes, je ne vois pas comment j’aurais pu mieux gérer les choses. Au moins, j’ai été soft, allant même jusqu’à remettre la faute sur son retard au lieu de pointer ce qui n’allait vraiment pas…
Mais ça, mon interlocutrice ne semble pas vouloir le comprendre. Elle est trop occupée à se bidonner, ce que je trouvais marrant au début mais qui commence doucement à me déranger. Pour qui se prend-elle ? On voit bien qu’elle ne vient pas d’ici — ce qui m’arrange, soyons honnête. Si elle était du coin, elle aurait forcément entendu parler de ma famille et ne se permettrait pas ça. Mais je me décrispe légèrement en l’entendant se présenter, moyennement convaincu par la véracité de ses propos, mal placé néanmoins pour les remettre en cause. Je devrai me contenter de ce prénom.
De toute façon, je me fiche bien de son identité pourvu qu’elle ne soit pas de Clifton. Mon statut ne m’autorise malheureusement — ou heureusement — pas à piocher parmi mes connaissances, sous peine de passer pour l’infidèle de service alors que ma fiancée s’est très bien débrouillée pour l’être avant moi. Mais ça, personne ne le sait et personne ne le saura jamais si on évite chacun de coucher avec des locaux.
« Et toi ça t’arrive souvent d’aller à des festivals toute seule ? », je lui renvoie la balle. D’habitude, elles sont toujours par attroupement quand elles ne sont pas déjà au bras d’un mec…