Thunder and Lightning

" Allez, Lina, dis ouiiiiiii ! " qu'elle a longuement insisté. Longuement. LONGUEMENT. Toute la soirée à vrai dire, avant que je ne quitte mon poste à 21h30. Je n'ai rien contre l'idée de passer une soirée entre filles. Mais je ne suis vraiment pas LA personne à qui l'on pense quand il s'agit de sortir dans un club. Danser. Non, ce n'est pas mon truc. Mon truc à moi, c'est soirée chill avec Netflix. Non. Mon truc à moi, c'est rouler vite. Mais ça, je ne le dis pas trop fort. Je soupire et lève les yeux au ciel, mais son sourire est contagieux et elle sait qu'elle a gagné. Je suis déjà sortie avec Sisi il y a à peine deux jours, et on me force à remettre ça ce soir. Je vais bientôt avoir l'impression d'être passée sous un rouleau compresseur tellement je suis fatiguée. J'ai 25 ans, je me donne l'impression d'en avoir le double. Je dramatise un peu beaucoup trop ? Sans doute. C'est ce qui arrive quand on n'a qu'une envie : retrouver son lit. Mais Fox ne me laissera pas le choix, et après tant de jours et de semaines de méfiance de sa part à mon égard... disons que je me vois mal refuser. Mieux vaut saisir la perche qu'elle me tend. " Vous vous êtes passées le mot pour m'achever, c'est ça ? " je lance en même temps que je saisis mes affaires pour quitter le Coyote. Elles se contentent de glousser, ce qui éveille mon amusement malgré tout.

Une heure plus tard, j'étais fin prête pour sortir - et apparemment, ce n'était pas trop tôt. " Désolée d'avoir bossé, pas comme certaines qui ont eu le temps de se préparer... " je rétorque pour la forme, mais pas réellement piquée par leurs ricanements. " Merci de m'avoir permise de me préparer chez toi, " je remercie ma collègue. Même si elle s'habille tout aussi différement de moi que Sierra, on fait à peu près la même taille donc je n'ai pas chipoté. De toute façon, c'est une soirée tranquille entre filles. Quelques minutes plus tard, nous voilà dans un club que je ne connais pas - le Noche Obscura. Le monde qui s'y trouve est assez affolant - au sens propre comme au figuré me concernant. Je me sens déjà étouffé et je sais que je vais devoir boire quelques verres si je veux survivre à cette ambiance. Et c'est ce que je fais. Je bois. Faut croire que la cuite de l'autre soir ne m'a pas suffit et ne m'as pas servi de leçon. On m'offre des shots - les copines, comme des inconnus. Je refuse quelques-uns parce qu'ils me les apportent et j'ai encore toute ma tête pour que ça crie ALERTE GENERALE !

Quand je fonce aux toilettes, parce que j'ai trop enchaîné les boissons, je suis plutôt guillerette mais ça tangue pas mal quand même. Par chance, elles sont quasi-vides, un vrai miracle ! Le peu de soirées que j'ai pu faire en club comme celui-ci, c'est la file d'attente assurée pour aller se soulager. Je marche encore droit, mais je rigole comme une dinde quand je rentre dans les gens. " Dégage, regarde où tu vas ! " Oh, bah c'est pas sympa, ça. Je lève les mains en l'air comme pour m'excuser, mais je ris malgré la mauvaise humeur que je rencontre. Je chantonne. Non, je chante. Moi, je chante. Et j'ai dansé. Toute la soirée, ou presque. Moi. Diable, ceux qui me connaissent savent. Je ne danse pas et je ne chante pas. Sauf quand j'ai un coup dans le pif apparemment. Ahah. Une fois mon affaire finie, je fonce au lavabo me laver les mains - longuement. Je me perds dans le reflet que je renvoie, ne me reconnaissant pas vraiment. J'ai les joues rouges. Les yeux brillants. Le sourire de la fille qui s'éclate. Qui se sent bien. Qui se sent libre. Aux oubliettes les soucis. Fox avait raison, cette soirée fait un bien fou finalement. " T'as fini, je crois. Tu peux laisser la place, stp ? " qu'on me demande plus gentiment, mais fermement quand même. " Oups, pardon, " je glousse. Moi, je glousse. C'est officiel, nous sommes dans un monde parallèle. Le sourire aux lèvres, je laisse la place et c'est une vraie file d'attente que j'aperçois à présent. Je refuse de croise que je puisse en être responsable. " C'pas moi, " je crie à l'assemblée en sortant enfin des toilettes, avant de percuter un torse dur. Instinctivement, j'y place mes mains. Et moins instinctivement, j'y pose mes yeux. Et alors encore moins instinctivement, je palpe les muscles que je sens sous le tissu. " Bravo, M'sieur, c'est très ferme et musclé, " je félicite en relevant la tête tout sourire. Puis, je croise SON regard. Je l'ai déjà croisé. Plusieurs fois même. Diego. Je penche la tête sur le côté, pour mieux l'observer. Mes mains toujours sur son torse. " T'sais, j'crois que t'es amoureux ! " que je décrète. C'est l'effet Tequila, UNIQUEMENT l'effet Tequila. Sobre, jamais je n'oserais parler ainsi. " T'es partout, partout, partout où je tourne la tête, " j'enchaine en fronçant les sourcils parce que je réalise que c'est vrai. Je le vois partout. Souvent. " Tu m'suis ? "

Et pourquoi il te suivrait, Lina ?

Je suis sans doute un peu pompette. Bon, d'accord, je suis BIEN pompette. Mais j'y vois encore clair. Et je ne pens pas que je suivrais un inconnu de mon plein gré. Un rire m'échappe à cette pensée. J'ai suivi plus d'inconnus à Clifton qu'à New York. Ce que je veux dire, c'est que je pense être suffisamment alerte pour prendre les bonnes décisions. Non ? Mais en même temps, n'a-t-on pas toujours l'impression d'être suffisamment alerte pour ça ? Même quand on est complètement bourrée ? " Lina'... " Ce diminutif sonne comme une chanson entre ses lèvres-là. Il amène un sourire un peu rêveur sur les miennes. Il n'y a rien de plus sexy qu'un accent. Ou alors je suis vraiment plus bourrée que je ne le pense. " On dirait que quelqu'un profite bien de sa soirée... " Je lève les deux pouces en l'air, tandis qu'il ôte mes mains de son corps. Je l'ai croisé plusieurs depuis mon pneu crevé - et je l'ai même aperçu d'autres fois sans qu'il ne m'adresse la parole. Il y a tout un tas de personnes que je croise souvent, depuis que je suis à Clifton. Mais je ne sais pas pourquoi, le croiser LUI, aussi souvent, ça me fait bizarre. " L'vie est trooooooop courte, " je justifie mon comportement d'une voix un peu plus forte, mais toujours un peu lente. Pourquoi tout semble aller au ralenti ? " Ca t'arrive de t'amuser, M'sieur Diego ? " je pose la question un peu en l'air, sans forcément attendre de réponse - et d'ailleurs, je ne pense pas qu'il m'en offre une. Il est là. Il est devant moi. Il se rappelle mon prénom. Il a des gestes sûrs et mesurés. Mais il ne sourit pas. Il semble totalement indifférent. Comme s je n'étais qu'une petite chose fragile, insignifiante. Et ça blesse plus que ça ne le devrait. Je fais la moue à cette idée. Une moue qui se transforme en un O outré quand il enfonce le couteau dans la plaie, me balançant à la figure que se croiser dans des clubs, ça n'est rien. Et qu'il a d'autres choses à foutre que de me fliquer. Mais je n'en doute pas ! j'ai envie de m'offusquer, mais je ne suis pas totalement en état. C'est bien dommage, car je l'aurais bien remis à sa place sinon. Je m'en persuade en tout cas. " Buenas tardes. " Et il tourne les talons. Je le regarde, mi-éberluée, mi-frustrée. " Buenas noches ouais ! " je hurle alors qu'il a disparu depuis plusieurs secondes. Qu'est-ce que je disais... L'alcool ralenti tout. Jusqu'aux neurones.

Je retourne sur la piste, rejoindre mes amies pour la soirée. Je ne les repère pas, pas de suite, mais je me perds dans le flot d'humains qui se trémoussent au gré de la musique diffusée. Je ne reconnais même pas le son, mais peu importe. Je suis venue pour m'amuser, non ? Non. Je suis venue pour tenir compagnie à mes collègues. Je suis venue pour ne pas passer pour la casanière et la chieuse qui ne sait pas s'amuser. Mais quitte à jouer le jeu, autant le jouer jusqu'au bout, non ? " Hola, guapa... que l'on me murmure au creux de l'oreille, tandis qu'un corps se colle à mon dos, des mains poser sur mes hanches pour me rapprocher un peu plus. Cette proximité me fout des frissons - mais pas de ceux que l'on a lors d'un corps-à-corps charnel désiré. Pas de ceux qui font palpiter le coeur d'anticipation. Pas de ceux qui font rêver. Non. Je déteste être prise au dépourvu. Et je déteste que l'on me touche - surtout quand je ne connais pas la personne. Surtout quand je n'ai pas donné mon consentement. Quand bien même le toucher reste encore "innocent". Alors je grimace, et je tente de me dégager. Mais il me retient. Il colle sa bouche au creux de ma nuque et me respire. Eurk. " Lâche-moi, s'te plait, " je demande gentiment, mais sans doute trop doucement pour qu'il entende vraiment mes paroles. " Relax, ma belle, laisse-toi aller avec la musique. Juste une danse, " Ouais. Mais non. Je suis tout, sauf relax. Surtout quand un homme attaque par derrière comme ça. Si encore il m'avait demandé de danser. Si encore il s'était présenté. Si encore il avait demandé avant de poser ses mais sur moi. Sa bouche même. Mais non. Il s'impose. Et ça, ça me pose souci. En temps normal, je suis certaine que j'aurais pu me débarrasser de lui. Mais mes gestes sont ralentis. Faibles. Et je frissonne de nouveau, parce que je me dis que s'il le voulait... il pourrait facilement faire de moi ce qu'il veut puisque je ne suis pas "en état" de me défendre. Alby serait furieux, et déçu.

Puis, il disparait. Et je respire mieux. Je secoue mon corps, comme pour me débarrasser encore de ce parasite, imitant une nausée que je ressens pourtant bel et bien. Puis, je me retourne pour lui faire face et lui dire clairement de rester loin de moi. De ne plus m'approcher. Et lui apprendre les bonnes manières. Mais je fais de nouveau face à Diego. Qui tient le frotteur par le col de sa veste, l'air menaçant. Ce serait comique, si le type ne semblait pas si "effrayé". Comme s'il savait à qui il avait affaire. Et qu'il ne valait mieux pas discuter. D'ailleurs, il ne fait pas long feu et ne réclame pas son reste quand il quitte la piste, sans un regard en arrière pour moi. Quand je croise le regard de Diego, j'ai l'impression d'avoir dégrisé. La musique persiste, les corps se déhanchent non stop sur la piste, et ça sent l'alcool à plein nez. Je n'ai RIEN à faire ici. Je le sais. Et il le sait, apparemment. On s'observe plusieurs secondes, peut-être même des minutes. Avant qu'il ne me tende la main, sans un mot. Et que je la saisisse. Son regard en ferait pâlir plus d'un, pourtant je ne me sens en sécurité que lorsque sa main serre la mienne et me force à le suivre vers la sortie. Il ne la lâche pas tant qu'on n'est pas dehors. L'air frais du soir me coupe le souffle, mais me fait un bien fou. Mes mains chaudes passent de mon visage à mes cheveux détachés. " Merci, " je finis par murmurer. " T'étais pas obligé... " je commence avant de me taire. Non, il n'était pas obligé d'intervenir, mais je suis soulagée qu'il l'ait fait. " J'vais finir par croire que t'es mon ange gardien, " je plaisante. Avant de rire doucement, parce qu'il a l'air de TOUT, sauf d'un ange gardien.

J'en ai un peu marre. Marre de me retrouver dans des situations dangereuses - ou en tout cas malsaines. Et surtout marre de me sentir si vulnérable, si faible, si incapable. Je pensais qu'après ne serait-ce qu'une séance d'entraînement avec Alby, je pourrais au moins me sentir plus forte, plus confiante. Mais ce n'était clairement pas le cas. Il suffisit d'écouter et de sentir mon coeur battre la chamade. Il suffisait de me rappeler la scène d'il y a quelques minutes à peine. Si Diego n'était pas intervenu, s'il avait disparu comme j'avais cru qu'il l'avait fait, qui sait ce qui se serait passé ? Rien, ni personne, n'aurait pu empêcher ce type de m'embarquer dans sa bagnole. Sobre, peut-être que j'aurais été capable de faire mal. Et de le décourager. Mais je n'étais pas sobre, même si la peur et l'air frais de la soirée avait de quoi me dégriser. " Je ne sais pas si je suis ton ange-gardien, " qu'il finit par rompre le silence de la nuit. Tu débarques chaque fois en héros, pourtant. Toujours quand je suis en mauvaise posture. Toujours quand j'en ai besoin. C'est légitime de le penser, non ? " Mais on dirait que t'en a besoin d'un. " Un rire m'échappe. Jaune, mais tout de même. Il n'a pas idée. Je suis si dépourvue de "self-preservation" que c'en est affolant. Jusqu'à Clifton, je n'en ai jamais eu véritablement besoin. Mais je me sens comme une Buffy Summers, aux portes de l'enfer. Qui ne demandent qu'à m'avaler, ne faire qu'une bouchée de moi. J'en plaisante, mais je ne suis même pas sûre que ce soit une blague. " Je te l'ai dit Lina', Clifton est une petite ville pleine de petits cons et... " Oui, il l'a dit, c'est vrai. Mais TOUTES les villes sont remplies de cons, Diego. Même New York - c'est même PIRE car la population est sans doute 4 à 5 fois plus importante. Cela dit, à New York, j'ai mes amis. Mes gardes du corps particuliers. Je devrais penser à les remercier, à leur dire à quel point ils sont géniaux et à quel point j'ai été bête de ne pas m'en rendre compte avant. Ils méritent ces mots, à défaut de cadeaux dignes de ce nom. Je me promets de leur envoyer un SMS dès que possible. Même si, en leur racontant tout ce qui m'arrive ici ils risqueraient de me rejoindre rapidement.

" Et "Ça"... " qu'il enchaine, son regard parcourant mon corps entier. Le corset noir qui en dévoile encore trop - différent de l'autre soir car pas le mien, mais tout aussi sexy comme Fox le voulait - et le pantalon en semi-cuir tout aussi noir et près du corps. Ce n'est ABSOLUMENT pas moi. Mais il n'y a rien de mal à se transformer pour une soirée, non ? Jouer un rôle pour une nuit, ça n'a jamais tué personne. Non ? " Ça les attire. " Derrière la grisaille de l'alcool, je comprends ce qu'il veut dire. Dans cette société, quand les femmes osent être sexy et s'habiller d'une certaine façon, elles risquent gros. Elles risquent d'être emmerdées. Elles risquent d'être alpaguées. Elles risquent d'être prises pour ce qu'elles ne sont pas. Il y a encore BEAUCOUP de chemins pour qu'ils comprennent - TOUS - qu'une femme est libre de s'habiller comme elle le désire, de se sentir femme et belle comme elle le veut, et CE sans que ça n'implique d'être draguée lourdement, sans que ça ne signifie "ba*se-moi". Mais je lui adresse un demi-sourire, car avec l'alcool dans le sang, tout ce que je retiens, c'est : " Tu me trouves canon, Mr Diego pas Munoz, " et oui, c'est ridicule et pathétique. Mais j'ai des circonstances atténuantes. L'alcool déshinibe, l'alcool rend con, l'alcool rend stupide, l'alcool fait perdre ses facultés. L'alcool fait mal.

Note à moi-même : NE BOIS PLUS JAMAIS.

Je me sens tanguée. Je vais pour poser ma main sur la voiture qui me semble tout juste à côté de moi. Sauf qu'elle n'est pas VRAIMENT à côté. Et que je trébuche. Là encore, il est là pour m'empêcher de me casser la gueule. Et de me rendre plus ridicule encore. " Okayyyyyy.... " je dis, immobile, les mains sur ses bras musclés. " J'crois que je vais rentrer maintenant... " avant de m'écrouler et que la honte m'ensevelisse totalement. Après ça, j'espère NE JAMAIS le recroiser. Je me redresse et inspire une grande bouffée d'air, avant de lui tourner le dos, prête à... MERDE. Ma voiture n'est pas là. Je ne suis pas venue avec. On a pris la voiture de l'amie de Fox. Je suis donc à pieds. La poisse ne me lâchera donc pas. Je lève les bras en l'air, et les relâche, ça claque sur mes cuisses. " Ca va être une putain de marche... " je dis pour moi-même, même si je sens toujours sa présence dans mon dos. Du coup, je me retourne pour lui faire face de nouveau, et surprise de voir un demi-sourire sur ses lèvres. Pas le genre attendri, mais plutôt moqueur. " En tant que gardien, " je commence avant de m'arrêter en le voyant hausser un sourcil. " Tu te dois... de t'assurer que je rentre bien chez moi, " je continue même si je sais que c'est sans doute déplacé. Et qu'il peut totalement refuser. Après tout, la plupart du temps il a l'air blasé et lassé de devoir me secourir. Mais il le fait quand même. " Promis... je ne dirais rien sur ta... camionnette douteuse, " je lève la main droite en signe de paix.

" Je te trouve... new-yorkaise, " et sa réponse me fait grimacer. Comment se faire remettre à sa place ? Faites appel à Diego "sans nom de famille". Bon, je l'ai bien cherché, je le reconnais. Moi, je me trouve plutôt canon ce soir - ou j'ai bu un canon de trop ? - je ne sais plus trop. A New York, je m'habille en jean basket et veste de cuir, ou en jean talons et veste de cuir. Ici, ici je me laisse influencer par mes nouvelles copines. On m'a embarquée dans des magasins de fringues dans lesquels JAMAIS je ne serais habituellement rentrée. Mais ça, IL S'EN FOUT, Lina. Donc, je me mords la langue pour ne pas répliquer - parce que si je suis bavarde en règle générale, c'est PIRE quand j'ai un coup dans le pif. " Conseil d'ami Lina', " wow, wow, wow, nous sommes amis ? Je ricane, mais je garde ma bouche fermée. J'évite de me rendre plus ridicule encore. J'évite. J'évite. FORTEMENT. " Ce nom, Munoz, évite de le balancer comme ça, " et ces paroles me font relever la tête vers lui, si vite que j'en ai le tournis. " Ici, c'est un nom qui a de l'écho. " Un nom qui a de l'écho. De l'écho ? Un nom qui sonne grave ? Un nom important ? Parce que, pour moi, c'est un nom qui résonne depuis des semaines. Un nom que j'apprends à écrire à côté de mon prénom. Un nom que je me répète en boucle. Le nom de mon père. Ce héros. Ou pas. " Ca devrait être mon nom, à moi aussi, t'sais, " que je murmure plus que je ne l'avoue. Pas parce que j'en ai honte. Mais parce que j'ai peur. De ne pas être à la hauteur. De ne pas être écoutée. De ne pas être reconnue. De ne pas être importante. Après tout, il ne m'a pas retenue vingt ans plus tôt. Il ne m'a pas contacté, pendant ces vingt années. Oh, non. Je n'aurais pas l'alcool triste. NON. NON. NON. Je me répète inlassablement, refoulant les larmes qui menacent de couler. J'aurais l'alcool FUN. L'alcool GAI.

" Camionnette douteuse? Qu'est-ce que t'as contre mon pick-up Tacoma? Ok, ce n'est pas une "Camaro", mais quand même... " " J'ai rien du tout contre ton... pick-up machin-chose, " je rétorque en ayant déjà oublié ce qu'il a dit. " J'me rappelle juste que je ne dois pas suivre des inconnus dans leur camionnette, " que je dis bêtement en le suivant jusqu'à sa camionnette. Non, décidément, je n'apprends JAMAIS de mes leçons. Même si, à ce stade, Diego a pas mal prouvé qu'il était correct. Même plus que ça, puisqu'il m'a déjà sortie deux fois de galères sans nom. Sans rien attendre en retour - ça doit compter pour quelque chose, non ? Ou alors, il attend le parfait moment pour t'empoisonner, te découper en petits morceaux, et te donner à manger aux animaux sauvages dans le désert. GLAUQUE. Il a pas la gueule d'un tueur... Mais en même temps, aucun tueur n'a la gueule d'un tueur, si ? " Tu promets de ne pas me découper en petits morceaux ? " Je ne réalise pas avoir posé la question à voix haute. Mais quand mon regard croise le sien, je me mets à rire et pose une main sur mes lèvres pour éviter de glousser. Le pire, c'est qu'il ne me laisse pas sur le carreau. Non, il me propose bien de me raccompagner.

Quand je dis que c'est un héros. Et un ange-gardien.

" Où est-ce que je te reconduis miss Lina' ? " Sunset Park. Brooklyn. New York. Chez moi. " J'habite... " Merde, je ne sais même plus l'adresse de Sierra ! Je sais y aller, les doigts dans le nez. Mais je ne connais pas le numéro, ni la rue. BRAVO ! " Et t'es toute seule ? " " J'habite... chez ma collègue et sa mère, quelque part dans Midtown. Attends, je l'ai sur le bout de la langue, " non, tu ne l'as pas sur le bout de la langue. Mon visage dans mes mains, je réfléchis intensément pour qu'un souvenir me revienne. " Je demande juste parce que... je te promets que ce n'est pas un plan à la con... " Je dégage ma tête de mes mains. Quand on dit que ce n'est pas un plan à la con, c'est SOUVENT un plan à la con. " Un peu comme, c'est pas pour être méchant mais... ? " Pour annoncer qu'on va être méchant. " Je suis seul à mon appart', ma copine est partie en voyage. " Voilà qui devrait être rassurant : il a une copine. Pas de plan foireux. Evidemment. " Bref, si tu veux crécher chez nous, c'est pas un problème. " Tu m'en diras tant ! " Je râle dans mes mains avant de caler ma tête contre l'appuie-tête et de fermer les yeux. " La maison se trouve quelque part dans Midtown... Je pourrais te guider, parce que je n'ai pas l'adresse exacte, " je finis par dire d'une voix un peu las. " C'est vraiment sympa de m'proposer de dormir sur ton canapé, " je le remercie quand même, parce que bon, c'est VRAIMENT sympa. " Mais j'suis bien chez Sierra. Elle me fait faire des folies, ça c'est sûr, " j'ajoute en souriant tandis qu'il démarre. " Mais j'm'y sens bien, " que je conclus simplement. C'est vrai, on s'y sent bien chez les Moore. En tout cas, on ne me crie pas dessus. On ne m'oblige à rien. On ne m'impose rien. On respecte mon jardin secret. On m'offre des sourires et des câlins. Peu importe qu'Iris soit bipolaire. Peu importe que Sierra soit si instable. Elles sont ma famille, ici.

Un silence s'installe entre nous. Le genre que j'apprécie. Je sens que les effets de la Tequila redescendent. Je sens aussi une migraine d'un autre monde arriver, et le ventre barbouillé. PLUS JAMAIS D'ALCOOL clignote en rouge dans ma tête. Il s'arrête à un STOP, et mon regard accroche quelque chose à l'extérieur. A quelques mètres seulement. " STOP ! " je hurle et il freine brutalement en jurant. Je défais ma ceinture, et je descends fébrilement. Dans un petit fossé désertique, je vois deux billes rondes m'observer, et j'entends des pleurs qui me déchirent le coeur. " Hey, toi... " je murmure, m'accroupissant et tendant ma main vers la petite boule de poil apeurée. Il pourrait très bien me mordre, me donner la rage ou m'arracher un bout de peau. Aucun instinct de survie chez moi, je tends la main et je fonds quand il la renifle avant de la lécher. " D'où tu sors, hein ? T'es perdu ? " que je me retrouve à parler à un chiot, comme tous ces gens gagas qui parlent à leurs animaux et dont je me moque la plupart du temps. Je le prends dans mes bras, n'y vois aucun collier, aucun tatouage, bref : RIEN qui ne m'indique qu'il appartient à quelqu'un. Je ne réfléchis pas plus d'une seconde, et me tourne vers mon ange-gardien. " Promis... je le garde sur moi. "